Che Vuoi ?
De Francisco Tropa
EXPOSITION HORS-LES-MURS DU CREUX DE L’ENFER, CENTRE D’ART CONTEMPORAIN D’INTÉRÊT NATIONAL
AU CPACC – LA CROIX DE FER, VALLÉE DES USINES, THIERS
Du 18 juin au 25 septembre 2022
Vernissage le 17 juin à partir de 19.00
Du mercredi au dimanche de 14:00 à 18:00 – Entrée libre et gratuite
CPACC – La Croix de Fer
Centre de pratiques artistiques et culturelles contemporaines
Etablissement privé à vocation artistique, culturelle et évènementielle
71 avenue Joseph Claussat
63300 Thiers
contact@lacroixdefer.com
+33 (0)4 73 94 11 88
« Que veux-tu ? » demande Belzebuth à Alvaro, héro du roman Le diable amoureux de Jacques Cazotte, alors que celui-ci le convoque par soif de savoir. Le diable, prenant tour à tour les traits d’un chameau, d’un épagneul puis d’une femme appelée Biondetta, épuise alors les diverses ruses pour se jouer d’Alvaro et l’emporter. Cette fable aux allures de conte libertin révèle en fait que sous l’innocente question du démon se cache sa volonté de jouir du héros. La formule ici convoquée par Francisco Tropa pour le titre de son exposition présentée par le Creux de l’Enfer sur le site de l’usine de la Croix de Fer, esquisse une approche malicieuse de sa nouvelle installation. A travers l’image du diable – qui trouve un écho avec les nombreux récits associés à l’histoire du Creux de l’Enfer – l’artiste fait référence à l’une des figures majeures de la psychanalyse : Jacques Lacan, qui considéra dans les années 1960 la figure diabolique du roman de Jacques Cazotte comme une incarnation de la « dialectique du désir ». En effet, Lacan lie le désir de l’homme au désir de l’autre et précise que « c’est en tant qu’autre qu’il désire ». S’il s’y prend de la bonne manière, le psychanalyste pourra reprendre cette question. Elle s’y formulera pour l’analysant dans le sens d’un « que me veut-il ? ». S’amusant alors d’un nouveau changement de rôle, l’artiste semble cette fois lui-même questionner le visiteur, dans une double relation à l’œuvre : « que vois-tu ? » et : « que veux-tu, ainsi positionné face à cette œuvre ? ».
Après avoir franchi le torrent de la Durolle et pénétré la friche de l’usine de la Croix de Fer, encore assourdis par le bruit continu de l’eau déferlante, nous progressons dans l’obscurité vers deux étranges objets techniques graciles et lumineux. Il s’agit de deux systèmes de projection desquels émerge un fascinant phénomène de révélation : l’un nous transporte dans la fissure de la cavité d’une géode d’agate, l’autre au-dessus d’une goutte d’eau vue à travers une mince plaque de verre. Cette dernière se gonfle progressivement jusqu’à former une loupe d’eau dans le faisceau lumineux. A l’instant précis où la goutte devient trop chargée pour résister à la gravité, nous sommes captivés et suspendus dans ce moment d’intemporalité. Quand elle se détache et disparaît, elle nous libère de son emprise. Le phénomène projeté aux dimensions de l’espace est bouleversant de simplicité.
Les nouvelles lanternes conçues par Francisco Tropa s’inscrivent dans une famille d’objets qu’il fabrique et perfectionne dans son atelier depuis dix ans. Constituées de dispositifs mécaniques et lumineux, ces lanternes nous font assister à la naissance d’une image. Objets au statut hybride, entre sculptures et instruments optiques, ces lanternes se présentent avant tout comme des systèmes mécaniques d’une telle précision et d’une telle beauté technique qu’elles semblent is- sues d’un autre âge, faisant un écho aux premières expériences photographiques et cinématographiques du XIXème siècle. Elles se composent d’une optique et d’une lampe entre lesquelles l’artiste positionne un objet qu’il qualifie de « modèle issu de la nature se résumant à un élément isolé, tel un écoulement de sable, une goutte d’eau ou une toile d’araignée qui, sans subir d’altération, a fait le saut depuis la nature, vers l’intérieur des sculptures »1. L’objet souvent gravitationnel est alors transformé en image agrandie et inversée superposée à sa propre ombre « comme au sein d’une camera obscura à l’intérieur de laquelle les spectateurs seraient immergés » . En effet, l’un des ressorts essentiels des lanternes de Tropa est le changement d’échelle qu’elles opèrent par le truchement de la projection, du micro vers le macrocosme. Projetée à cette dimension, la goutte d’eau, dont on perçoit la surface vibrante, devient un événement visuel aussi puissant que la chute d’eau de l’Enfer.
Francisco Tropa se plaît à poursuivre l’évolution technique de ses lanternes avec les artisans qui le guident vers de nouvelles expérimentations. Insatiable curieux des métiers et des savoir-faire auxquels il accorde une attention tout à fait essentielle dans son œuvre, sa venue à Thiers a été l’occasion de faire évoluer la structure formelle de ses lanternes avec l’entreprise de mécanique de pointe Eprose, spécialisée dans la production d’outils de poinçonnage. Cette collaboration a permis d’épurer la structure du dispositif de projection et de lui donner une dimension inédite, mais aussi de travailler de nouveaux traitements de surface.
Au sein de l’installation composée de lanternes et d’écrans positionnés face à face, l’artiste crée les conditions de nouvelles interactions symboliques avec le visiteur en plaçant à la croisée des faisceaux lumineux deux éléments en tension et en équilibre sur une estrade. Un seau chargé de charbon suspendu à la corde d’une poulie, elle-même rat- tachée à une porte entrebâillée dans son châssis : cet ensemble d’éléments campe une scénographie annonçant la catastrophe imminente. Figure picturale récurrente que Tropa se plaît à faire apparaître dans nombre de ses œuvres, la porte renvoie au motif surréaliste magrittien traduisant le passage d’un état à un autre. Alors que nous nous exposons dans les cônes de lumières dans lesquels toute chose devient manifeste, cette scène d’équilibre reste suspendue dans une temporalité inversée : « Ce que nous voyons n’est pas ce qui a eu lieu, mais ce qui a toujours été. C’est un temps hors du temps. C’est un instant ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans le futur. C’est un instant éternel de devenir, une pure possibilité dans laquelle les lois de la physique ne semblent plus s’appliquer, et dans laquelle toute la connaissance semble disparaître » écrit Federico Ferrari à propos de l’installation composée d’un ensemble de lanternes que l’artiste réalise en 2011 dans le cadre de la Biennale de Venise.
Revenant à la figure initiale du désir, l’exposition Che voi ? appelle d’autres lectures plastiques associées à l’image de cette porte entre-bâillée. Pour n’en citer qu’une, on pourrait évoquer la Porte de l’En- fer, grand chef-d’œuvre (en tout point opposé à la version épurée qui nous est donnée à voir), pour lequel Auguste Rodin a créé plus de 250 sculptures fondatrices de son œuvre. La Porte de l’Enfer reflète moins la punition des péchés de L’Enfer de Dante que l’esprit des Fleurs du mal de Baudelaire, explorant les passions humaines et tout particulièrement les tortures que le désir fait naître en chacun de nous.
Extrait du communiqué de presse publié par le Creux de l’enfer
Sophie Auger-Grappin, directrice du Creux de l’Enfer Centre d’art contemporain d’intérêt national.
1 Les machines au mouvement perpétuel. Francisco Tropa en conversation avec Nuno Cres- po, in Arenario, Porto, Universitade Catòlica Portuguesa, School of Arts Citar, Sistema Solar (Chancela Documenta), 2021, p190.
2 Francisco Tropa, par François Piron, in Arenario, Porto, Universitade Catòlica Portu- guesa, School of Arts Citar, Sistema Solar (Chancela Documenta), 2021, p150.
LE CREUX DE L’ENFER
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Crédits photos : Vincent Blesbois
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