Entretien avec un collectionneur
« Joseph Kouli a un jour compris que l’art contemporain n’était pas un domaine réservé aux détenteurs des trois capitaux (économique, culturel et social) mais bien un domaine d’objets et de pratiques qui, parce qu’il en était le contemporain, était à la fois à sa portée économique et culturelle. Le passage à l’acte d’achat d’art s’est fait un jour d’octobre 2006 à la FIAC. D’autres actes similaires ont suivi et ont fini par faire socialement de lui ce que l’on appelle un collectionneur ». Aurore Bandini, avant-propos du catalogue Collection Joseph Kouli.
Attaché aux artistes de sa génération, ce jeune collectionneur a réuni au fil de ces huit dernières années près d’une centaine d’œuvres que certains qualifieront de conceptuelles, et dont une grande partie a été exposée en 2013 à Mains d’Œuvres.
C’est à l’occasion du parcours privé de la FIAC 2014, qu’il a accepté de nous recevoir chez lui et de se prêter au jeu d’une courte interview.
Joseph, est ce qu’il y a une recherche de cohérence dans le choix des œuvres de votre collection ?
La cohérence se révèle avec le temps. La meilleure façon de commencer une collection n’est pas de se dire que l’on va commencer une collection. Pour ma part, j’ai commencé par acheter une première oeuvre à la FIAC en 2006. Puis je me suis naturellement mis en quête de la suivante, puis de la suivante…
C’est au bout de quelques années que mes obsessions se sont révélées et que la forme d’art qui m’attire s’est précisée.
Il est vrai que je suis sensible à certaines approches. L’art est pour moi un langage au-delà des mots qui bouscule notre système de référence. Il n’y a pas qu’une quête du beau, mais c’est aussi beaucoup une quête de sens.
Certains collectionneurs achètent des œuvres en suivant une mode dans l’espoir de pouvoir les revendre rapidement, bien souvent sans cohérence générale entre les différents travaux artistiques.
J’attends d’une œuvre qu’elle me bouscule et qu’elle me pousse dans mes retranchements. Ce qui compte c’est l’idée et cette capacité de l’œuvre à me questionner, bien plus que le medium utilisé ou la notoriété de l’artiste. Peut-être que pour moi une bonne œuvre est une œuvre qui génère plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Et comment découvrez–vous les artistes ? Sur des foires, dans les galeries, les ateliers ?
Les galeries jouent un rôle essentiel, mais j’organise mon temps libre pour voir les expositions importantes, comme la Documenta à Kassel, la Biennale de Venise évidemment, mais aussi Manifesta, toujours d’un très bon niveau.
Par ailleurs, je reste très ouvert aux recommandations. Ce sont bien souvent des connaissances – commissaires d’exposition ou des critiques – qui me conseillent d’aller voir tel ou tel artiste, telle ou telle exposition.
Les foires ne permettent pas toujours de découvrir des œuvres dans d’excellentes conditions, mais elles présentent l’avantage de rassembler en un même lieu des galeries du monde entier. Pour qui n’a pas le loisir de parcourir le monde en visites de galeries ou d’ateliers, les foires offrent un panorama unique. Chaque année je me rends à Art Rotterdam, Art Brussels, Art Basel, la FIAC évidemment, Art-o-rama à Marseille et Artissima à Turin.
D’ailleurs, et j’en suis ravi, les organisateurs d’Art-o-rama m’ont invité à faire partie du comité de sélection de la prochaine édition.
Dans le cadre du parcours privé de la FIAC, vous ouvrez les portes de votre appartement aux collectionneurs. Comment vivez vous cette expérience ? N’est ce pas trop intrusif ?
Il est toujours délicat de retrouver une trentaine d’inconnus dans son salon ! Mais c’est toujours une bonne expérience, que j’avais déjà vécue en accueillant l’association des Amis du Palais de Tokyo.
Je pense qu’il est intéressant de partager ma démarche et ma passion en essayant de faire du prosélytisme, et de dire qu’il est possible de collectionner.
Même si je gagne bien ma vie, je n’ai pas de fortune personnelle. Preuve qu’il n’est pas nécessaire d’être un héritier pour être collectionneur.
Pour le parcours de la FIAC, c’est un peu différent car je vais recevoir des collectionneurs qui ont la même démarche que la mienne. Nous allons plutôt partager des points de vue sur mes choix. Je collectionne beaucoup d’artistes de ma génération et d’artistes Français que les collectionneurs étrangers ou responsables de musées ne connaissent pas nécessairement. C’est aussi une façon de présenter leur travail, d’en assurer la visibilité, osons le mot : la promotion, avec un public qui vient spécialement pour le découvrir.
Je participe également à des visites de collections privées lorsque je voyage à l’étranger. C’est très intéressant de voir comment les gens vivent avec leurs œuvres et surtout de pouvoir partager nos visions, approches, choix, regrets.
Quel rapport entretenez-vous avec vos œuvres ? Avez vous besoin de vivre en permanence avec elles ?
Lorsque j’ai acheté ma première œuvre, il était important que je l’accroche et que je vive avec elle.
Au fil du temps et de mes acquisitions, sans penser à la notion de collection, j’ai moins ressenti ce besoin : le fait de savoir que je les possède suffit la plupart du temps.
J’ai même laissé en dépôt pendant deux ans des œuvres acquises en galerie. Je les avais à l’esprit mais je n’éprouvais pas le besoin de les avoir physiquement. Je savais qu’elles m’appartenaient.
Comment le processus d’acquisition des œuvres s’est t-il traduit au fil des années ?
Au début, la phase de découverte prime et s’accompagne d’une forme de boulimie. Puis au fur et à mesure, on s’intéresse plus précisément à certains artistes et on suit de près leurs parcours. Un dialogue s’installe.
Pour les artistes Brésiliens installés à Paris Angela Detanico & Raphaël Lain, j’ai spontanément ressenti le besoin d’acquérir un ensemble de quatre œuvres très cohérent. Par la suite, voyant que le travail se développait magnifiquement, j’ai complété cet ensemble par d’autres acquisitions.
Concernant la jeune artiste Suisse Vanessa Billy, j’ai procédé à l’acquisition d’une œuvre chaque année pendant 4 ou 5 ans.
Je présenterai d’ailleurs l’ensemble des œuvres de Vanessa Billy que je possède dans le cadre d’une invitation de l’ A.D.I.A.F. – dont je ne suis pas membre – au Musée des Beaux-Arts de Limoges en 2015, sur le thème de « l’Engagement ».
Finalement, le rôle du collectionneur est important dans le parcours de l’artiste ? Comment êtes vous perçu par les galeries et marchands d’art ?
Beaucoup d’artistes ne sont pas repérés car ils ne font pas partie des circuits établis.
Lorsque nous découvrons des artistes que nous estimons intéressants, il est essentiel de les montrer et de les défendre.
J’ai le sentiment qu’aujourd’hui le rôle des collectionneurs est de plus en plus reconnu et c’est plutôt rassurant. Ils ne sont plus simplement des acheteurs en bout de chaîne. Ils peuvent, voire doivent, de plus en plus prendre l’initiative et être à l’origine de projets qui assurent la visibilité des artistes.
Et la FIAC, pourquoi ce choix de vous programmer ?
Au cours de l’année 2013 j’ai eu la chance d’être invité à présenter ma collection dans un lieu indépendant de création et de diffusion qui s’appelle Mains d’Œuvres, à Saint Ouen.
Ce fut une belle initiative qui m’a permis de présenter les œuvres de ma collection par chronologie d’acquisition et d’éditer un catalogue hors norme qui témoigne autant de l’exposition qu’il ne fait état de la collection.
Ayant eu connaissance de cet événement et étant familiers de ma démarche, Jennifer Flay et Marine Van Schoonbeek de la FIAC m’ont proposé en début d’année de participer au Parcours Privé, afin de présenter ma collection et partager ainsi mon engagement. Cette invitation témoigne selon moi d’un souci de partager des démarches différentes et donner à voir ce qu’on ne voit pas partout à un moment donné.
J’ai par ailleurs pu présenter Bug’s Life, une œuvre de Bertrand Planes, dans le programme Hors les Murs de la Fiac. Installée au Jardin des Plantes, cette installation est visible jusqu’à la fin du mois de Novembre. Cette démarche est inédite : c’est en effet la première fois qu’une œuvre appartenant à un collectionneur est présentée dans ce très beau programme. J’étais aussi fier qu’ému en découvrant cette œuvre in situ. Il est vrai que je ne l’avais jamais vue avant d’en faire l’acquisition et ne la connaissais qu’à l’état de projet.
Ce numéro de Dedicate, explore la thématique du changement. En quelques mots, qu’évoque pour vous cette thématique ?
La remise en cause des référentiels est intrinsèque au travail des artistes contemporains et à l’art de son temps.
Il y a tout ce que l’on connaît et tout ce que l’on va découvrir demain. C’est un renouvellement permanent. L’art contemporain vous place toujours dans une zone d’inconfort. Et c’est en cela qu’il est essentiel.
Joseph Kouli, nous vous remercions infiniment d’avoir bien voulu vous prêter au jeu de cette interview et pour l’accueil que vous nous avez réservé.
La collection de Joseph Kouli compte, entre autres, des œuvres de Saâdane Afif, Vanessa Billy, Elvire Bonduelle, Benoît Broisat, Claudia Comte, Detanico & Lain, Aurélien Froment, Jérémie Gindre, Alexander Gutke, Aukje Koks, Dominik Lang, Benoît Maire, Mathieu Mercier, Ane Mette Hol, Aurélien Mole, Jean-Luc Moulène, Julien Nédélec, Simon Nicaise, Navid Nuur, Sophie Nys, Amalia Pica, Bertrand Planes, Julien Prévieux, Dan Rees, Kathrin Sonntag, Julien Tiberi, Rirkrit Tiravanija, Anna Virnich, et Erwin Wurm.
Nos remerciements à Marine Van Schoonbeek, responsable des relations avec les collectionneurs et les institutions – FIAC