Jeff Koons, l’Artiste
Jérôme de Noirmont, directeur de la galerie éponyme, s’est prêté au jeu de l’interview afin de nous dresser le portrait de Jeff Koons, artiste unique au parcours emblématique.
Jeff Koons est sans aucun doute l’artiste vivant le plus reconnu. À quelle occasion l’avez-vous rencontré ?
À New York, il y a près de dix ans. Ce fut un coup de foudre. Son œuvre m’a paru essentielle dans l’histoire de l’art. Pour moi, il est non seulement l’un des plus grands artistes vivants de ce siècle, mais aussi l’un des artistes-clés de l’art contemporain. C’est un homme exceptionnel par son ouverture d’esprit, sa gentillesse, sa simplicité, ainsi que par son incroyable créativité et son sens de la perfection.
Quelles sont les premières œuvres marquantes de Jeff Koons ?
Sans aucun doute, les “Inflatables”. Créées vers 1978-1979, ces séries gonflables (les “Fleurs” et le fameux “Rabbit”) étaient positionnées sur des miroirs. Un peu comme Robert Smithson, un autre artiste américain, qui travaillait avec des miroirs et des cailloux. Mais l’œuvre de Smithson était plus minimale. On retrouvera plus tard, en 1986, l’“Inflatable” du lapin dans la série “Statuary”. Jeff va introduire la notion de sexualité tout au long de son œuvre dès cette série de gonflables de fleurs mâles et femelles, ou celle du lapin.
Jeff Koons a-t-il toujours choisi de travailler par séries ?
Oui. Après les “Inflatables”, il crée, en 1979, la série du “Pre-New” où, un peu dans la lignée de Marcel Duchamp, il utilise des objets neufs de la vie courante, comme des casseroles, des théières, posés uniquement sur des tubes de néon. Vient, en 1981, la série des “New ”. Les néons sont mis dans des plexiglas, sur lesquels sont posés des aspirateurs neufs très classiques, de marque Hoover et New Shelton Wet/Dry. Les Hoover sont formés d’une poche en tissu qui, lorsque l’aspirateur est branché, représente la sexualité de l’homme, qui se gonfle ou se dégonfle selon l’énergie qu’on lui donne. Vous avez aussi les New Shelton Wet/Dry de forme ronde plus féminine, qui, en fonction de l’énergie donnée, sèchent ou ne sèchent pas, aspirent ou n’aspirent pas. Ils vont plutôt symboliser la sexualité féminine. Dans l’œuvre, tous les aspirateurs devaient être parfaitement neufs et vierges d’utilisation.
On se souvient également des ballons dans son œuvre…
Effectivement, en 1985, sont apparus les ballons de basket dans la série “Equilibrium” sur l’idée de la recherche de l’équilibre. En collaboration avec le docteur Richard Feynmann, prix Nobel de physique, il étudie l’apesanteur du ballon dans un aquarium à moitié ou complètement rempli d’eau. Cette série d’aquariums, essentielle et très importante, s’accompagne d’affiches appelées “Niki Poster” et aussi de matériels marins, dont notamment un canot de sauvetage gonflable qu’il fait fondre en bronze, le “Lifeboat”.
Quel était le message de Jeff Koons dans la série “Luxury and Degradation”, en 1986 ?
Dans cette série, il dénonce la publicité qui présente l’alcool comme un produit de luxe, en incitant les gens à le consommer. Il utilise des objets existants, tout comme les “Ready Made” de Duchamp. Mais Jeff Koons préfère les fondre et les mouler en acier inoxydable, ce qui les rend très brillants, d’où l’idée de “luxurary”. L’idée conceptuelle est de rendre plus proche les gens de leurs objets de tous les jours en les sublimant pour dénoncer leur côté néfaste. Suit “Statuary” qui reprend des sculptures existantes dans l’esprit des “Ready Made”. Le fameux “Rabbit”, inclus dans cette série, n’est exposé que dans les grands musées. Cette œuvre est devenue l’une des icônes de la sculpture, à l’égal de “L’oiseau dans l’espace” de Brancusi.
De quelle manière sa vie personnelle influence-t-elle sa créativité ?
Après “Made in Heaven”, en 1991, une série de tableaux et de sculptures principalement avec la Cicciolina, il crée d’autres séries toujours liées à son histoire personnelle et au monde de l’enfance. Père de plusieurs enfants, dont un avec la Cicciolina, il s’inspire du thème de la fête (anniversaire, Noël, …) qu’il retrace, iconographie, sur des tableaux et des sculptures. C’est un véritable hommage à son fils.
Il semble que Jeff Koons a été marqué par l’œuvre de Marcel Duchamp et de Salvador Dali. Qu’en pensez-vous?
Effectivement, Jeff Koons a un énorme respect pour l’œuvre de Marcel Duchamp et aime beaucoup le surréalisme.
Les journalistes ont souvent assimilé Jeff Koons à du “sous-Warhol”. Existe-t-il une différence fondamentale entre leurs œuvres ?
(Sourire) Comme vous dites, ce sont des journalistes, et non des critiques d’art. C’est une critique un peu simpliste. Ces deux artistes, tout comme Marcel Duchamp et Salvador Dali, sont des artistes-clés dans l’histoire de l’art contemporain. Outre que l’un multiplie, l’autre imagine œuvre par œuvre. Chacun travaillant dans sa propre voie de recherche.
Comment travaille Jeff Koons ? Travaille-t-il seul ?
Non, Jeff Koons a trente à quarante assistants dans son atelier. Mais il donne aussi des ordres de réalisation d’œuvres en acier inoxydable, en marbre, en bois, en verre, dans des fabriques du monde entier et s’entoure des meilleurs artisans. Tous sont extrêmement surveillés car Jeff Koons a une exigence de qualité incroyable. Comme pour les artistes à l’époque de la Renaissance en France, et depuis le XVIIe siècle en Italie, Jeff travaille dans l’idée d’atelier. Depuis des centaines d’années, cette notion d’atelier existe et met en scène le maître derrière ses élèves, leur donnant des instructions très précises. Les élèves n’ont pas de liberté de créativité. Ils sont juste là pour réaliser.
Si vous deviez retenir une œuvre de Koons, laquelle choisiriez-vous ?
Le “Rabbit”, son œuvre emblématique. Autrement, je choisirais la sculpture “Split rocker” pour laquelle j’ai une affection particulière car elle a été produite avec notre galerie en 2000. Elle devait d’abord être présentée à Paris sur les Champs-Élysées, mais pour des raisons d’installation cela n’a pas été possible. Sa première présentation a eu lieu en mai 2000, en Avignon, dans le cloître du palais des Papes, lors de l’exposition sur la beauté. C’était une installation tout à fait incroyable. Cette œuvre importante symbolise l’image de l’enfance. On retrouve le côté Janus de l’enfant, partagé à la fois entre le père et la mère, mais aussi divisé en son for intérieur, par un côté doux et un côté fort, un côté sucré/salé (sourire). C’est une œuvre bicéphale, inspirée d’un jouet à bascule d’enfant et divisée en deux parties. Une partie “Dino”, correspondant à la tête d’un dinosaure, personnage de bandes dessinées, et une partie “Pony” correspondant à la tête d’un poney, animal que tous les enfants aiment. La création du “Split rocker” vient de l’idée de combiner deux chevaux à bascule d’enfant. L’œuvre est monumentale, la plus grande de Jeff Koons. Elle mesure près de 12,20 mètres de haut. Elle pèse 250 tonnes et est composée de 75 000 fleurs vivantes en pot, avec un système d’arrosage très perfectionné.
Cette œuvre est-elle toujours installée sur le site ?
Non. Un peu avant l’ouverture de l’exposition en Avignon, je l’ai vendue à la fondation de François Pinault, où elle est actuellement stockée en attendant une nouvelle installation.
NOUVEAUTÉ 2006
Kangaroo Mirror Box (Blue)
La Galerie Jérôme de Noirmont vient d’éditer à 2 000 exemplaires une boîte-miroir de Jeff Koons intitulée “Kangaroo Mirror Box (Blue)”. Cette œuvre, signée, datée et numérotée par l’artiste, se présente sous la forme d’une boîte en polystyrène miroir et plexiglas, contenant le DVD du film sur Jeff Koons réalisé par Judith Kele. Le miroir est un “Kangaroo” bleu, numéroté et signé, qui peut être accroché au mur ou rester dans son coffret. Souscriptions jusqu’au 31 mars. Un concept très Koons.
Galerie Jérôme de Noirmont, 36-38, avenue Matignon, 75008 Paris
Tél. : 01 42 89 89 00
EXTRAIT DEDICATE 08 – Printemps 2006