De la texture du présent

Au départ il y a eu la chute. Et il a fallut se relever. Il y a un questionnement fondateur et fondamental chez moi, qui est le moteur de ma pratique artistique. Il n’est pas verbalisé. Il est le centre, le but de mes recherches. J’utilise tous les moyens possibles pour tenter de trouver une réponse à cette question. Je l’encercle, je l’attaque de tous les côtés. Comme une question en suspend. Une attente. Quelque chose qui travaille sans cesse. Pour qu’une oeuvre soit réussie, il faut qu’elle possède une part d’irrésolu.

Mon travail est polymorphe, holistique et découle d’une approche volontairement exploratoire, voire expérimentale. Il prend une forme de rhizome au sens Deuleuzien. Un modèle dans lequel l’organisation des éléments ne suit pas une ligne de subordination hiérarchique. Au contraire chaque série d’oeuvres peut affecter la conception d’une autre série. Peu importe sa temporalité de création. La réciprocité est de mise. Chaque série reste ouverte dans le temps, et gagne par l’expèrience d’une autre. Comme pour l’organisme végétal sa direction peut être inopinée, sa progression chaotique. Et simultanément il n’a ni début ni fin institués par avance : il intègre l’aléatoire dans l’épanouissement de sa virtualité. L’efficience s’y trouve diffractée : chaque élément est un potentiel en devenir (ou au repos, alternativement). Toutes mes propositions participent à un ensemble plus vaste, une réalité propre, où chacune soutient l’autre, l’accorde, lui répond, la lance vers un autre état. Mises en parallèles elles se questionnent mutuellement pour faire émerger de nouveaux sens, de nouvelles lectures. Sliders par exemple, est une série d’objets réalisés à partir des outils ou débris des séries antérieures. Ce sont des objets hybrides, des portes, qui permettent de glisser d’une oeuvre à une autre.

La réalité est multiple. On parle aussi de réalités multiples. Il me faut donc utiliser tous les stratagèmes possibles pour matérialiser ce qui veut rester dans l’ombre. Je vis des expériences que je traduis en dessins, en sculptures. J’interroge notre rapport à la vérité, à la croyance, au présent, et j’utilise un outil subjectif, mon corps, pour questionner le réel. A travers des séries de dessins comme Un mensonge répété mille fois finit par prendre l’apparence d’une vérité ou de sculptures, From formlessness, le toucher, l’ouie, l’odorat, le gout ainsi que les stimulations somesthésiques sont sollicités. Je travaille la plupart du temps en aveugle, les yeux fermés. Je ressens, je goute, je touche, j’explore le territoire, et retranscrit simultanément ces sensations. Dans la série de panneaux de plâtres The truth is out there, le geste fait place à une recherche plus abstraite de pures traces colorées. Mais ici encore je vise une présence plutôt que la représentation.

Mon travail, même s’il paraît explosé, anarchique, pouvant parfois tendre vers l’automatisme, est en fait très contrôlé, rigoureux et détaillé. Il se fonde toujours sur une certaine vérité de l’expérience. Un état de conscience élevé sur des micros évènements internes et externes à ce corps. Entre science et magie, connaissance et superstition, des expériences cognitives précises et délicates. Je ne suis pas dans le discours mais dans le présent, dans l’être, telles les empreintes qui sont laissées par le passage des animaux et qu’on appelle vestiges.

Fabrice Cazenave – 2015