Ode Bertrand a accompagné durant 35 ans le travail d’Aurelie Nemours. Elle a d’abord été sa fille spirituelle, mais, surtout, elle a été sa confidente et sa complice, puis son assistante.
Peintre elle-même, elle a depuis longtemps poursuivi un travail que l’on peut rattacher à « l’art concret».
A l’occasion de ce numéro sur la couleur et avec le soutien de la galerie Oniris, dirigée par Yvonne Paumelle, Ode Bertrand a accepté à travers sa vie et son travail, de nous parler d’Aurelie Nemours, décédée le 27 janvier 2005, à Paris, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans, quelques mois après que le Centre Beaubourg lui ait rendu hommage en organisant une grande rétrospective de son œuvre.
Comment avez-vous rencontré Aurélie Nemours et qu’est ce qui vous a décidé à collaborer avec elle ?
(sourire) Tout d’abord je suis sa nièce. A l’époque j’étais danseuse classique et j’ai tout arrêté pour élever mes deux enfants. Après ça, je me sentais mal et j’étais en nostalgie de l’art. Je ne pouvais pas reprendre la danse parce qu’il était trop tard, alors je suis allé voir Aurélie et je lui ai dit que ça allais mal. Elle m’a dit viens à l’atelier et nous verrons bien.
Vous n’aviez donc jamais créé avant cette rencontre ?
Plastiquement, non ! C’est elle qui m’a tout appris. Tout ce que je suis, tout ce que je sais, c’est grâce à elle ! J’étais sa fille spirituelle et elle m’a accompagné toute sa vie
Est-ce que son travail a été une révélation pour vous ?
Non ! Son travail ne m’a pas du tout influencé, mais pas du tout ! Elle m’a donné un enseignement qu’elle a voulu que je suive au mieux. Elle m’a dis « On commence à zéro. Tu commences devant un modèle vivant, une nature morte et tu travailles ». Alors c’est ce que j’ai fais car j’étais bien discipliné. A vrai dire cela m’a plutôt ennuyé et je n’ai pas eu la patience de rechercher ce qu’elle voulait dire.
Oui ! Un travail basé sur la compréhension de la nature !
C’est ça ! Elle prônait qu’il fallait trouver le rythme et la forme par rapport à la nature. Il fallait décrypter la nature et en trouver le secret. Après ça on était riche et on pouvait partir sur autre chose plus géométrique, plus mentale.
Alors comment avez-vous travaillé ? Et comment a-t-elle réagit ? Quels conseils vous donnait t-elle ?
Moi cela ne m’a rien apporté et je faisais de petites miniatures au trait que je lui apportais !
Elle me disait « Oui en effet c’est superbe mais je n’ai toujours pas ma pomme ! »
Je lui répondais « non ta pomme m’embête ! ».
C’était comme les peintres du moyen age ! Elle m’a transmis tout son savoir. Son obsession c’était la création. Moi j’étais sa nièce et cela se passait souvent simplement entre deux coins de porte. Elle m’accueillait en chemise de nuit et je lui apportais mon devoir (sourire). Elle voyait bien que c’était ma voie et elle me poussait dans ce sens là. Elle aimait l’idée artistique.
D’ailleurs elle préférait mes miniatures plutôt que mes tableaux qu’elle trouvait plus banal.
Comment avez-vous trouvé votre propre voie ? Pouvez-vous m’en parler ?
D’abord j’ai tout de suite aimé le dessin. J’ai aimé travailler la mine de plomb, la plume et tout ce qui est non matière, tout ce qui est fin et à peine perceptible, plus que la forme et la couleur. J’ai pas trop sentit la pomme, mais j’ai aimé le rythme.
Si vous voulez, mon travail est basé sur l’idée de « chaos ordonnés ». C’est l’ordre et le chaos. Il y a un désordre formidable mais en réalité tout est extrêmement structuré. Je ne sais pas faire autrement. Je travaille par famille de manière intuitive et ordonnée. Au bout d’un temps, quand mon sujet est épuisé, une lassitude pointe et l’authenticité de la recherche disparaît. J’entame alors une nouvelle série.
E.-M. Fruhtrunk écrivait : « Au premier regard, les œuvres en couleurs se présentent presque comme des monochromes, mais à un regard plus insistant se révèle la richesse d’un foisonnement à découvrir. Par la densité de leur texture, les signes noirs et blancs et les champs de vibrations des œuvres en couleurs entendent faire contrepoids à un monde environnant marqué par le déchirement et la désorientation ».
Pouvez-vous me parler du travail d’Aurélie ? Aurélie a-t-elle toujours travaillé la couleur ? Et quel a été son cheminement ?
Oui ! La couleur a toujours été présente. Elle est absolument partie de la nature et du modèle vivant. Elle en a décrypté le secret du rythme et de la forme pour finalement arriver vers une simplification juste et essentielle. C’est la base de tout son travail.
Aurélie dans l’entretien de Evelyne de Montaudoüin explique très bien que la couleur n’existe pas. C’est juste une façon de s’exprimer pour se comprendre. Si on prend un rouge il est déjà influencé par le bleu qui est à côté puis par le jaune qui est avant. On est complètement mouvant et il n’y a pas de mot exact pour définir la couleur. Tout est une histoire de passage, de formes et de vibration des couleurs entre elles. Aurélie comprenait la couleur comme ça
En peu de mots, comment définiriez-vous la personnalité d’Aurélie ?
Sans conteste Aurélie était un être libre. Elle était très autonome dans sa vie et son travail. Elle n’était influencée par personne et faisait corps avec son travail.
C’était un être remarquable, avec une grande acuité d’intelligence et une acuité de vision formidable. C’était un être tout à fait exceptionnel.
Comment pourriez-vous analyser son travail et sa recherche sur la couleur ?
Chez Aurélie le travail était répétitif comme par exemple son travail sur le rythme du millimètre. Aurélie travaillait aussi au hasard, simplement à l’intuition. Elle sentait l’équilibre et ne prenait aucune mesure. Elle s’arrêtait quand elle pensait que l’équilibre était atteint.
Un mot essentiel pour comprendre son travail c’est le mot énergie. Elle travaillais sur l’énergie de la couleur, sur sa déflagration et donc sur la forme. C’était une recherche sur l’équilibre de la forme et de la couleur. Ce que l’on n’a pas avec le trait car il se suffit à lui-même. Il a sa propre déflagration. Avec la couleur et la forme il y a la création d’un aplat qui rend les choses plus formelles.
Pour Aurélie la couleur c’est de l’énergie pure. Chaque passage entre couleur est important. Tout ce passe dans ce passage ou dans la quantité des aplats. C’est l’énergie de la couleur par rapport à la forme.
Dans ses propos recueillis par Evelyne de Montaudoüin, elle disait « La couleur n’existe pas, c’est une abstraction. La couleur n’existe que par sa valeur. C’est par la vérité de la valeur qu’on approche la vérité de la couleur».
Comment vivez-vous depuis la disparition d’Aurélie ? Et quel souvenir en gardez-vous ?
Depuis sa disparition je travaille beaucoup plus car j’ai plus de temps à moi. Vous savez j’ai été son assistante jusqu’au bout et j’y allais tous les jours sauf le samedi, le dimanche et le lundi ou je travaillais pour moi.
Mais j’aimais ça et nous avons formé une très belle équipe. Nous avions des caractères qui allaient très bien ensemble. Aurélie était très autoritaire, difficile et exigeante et moi j’étais cool et je ne me rebiffais jamais. J’acceptais tout ce qu’elle disait et je n’étais pas contrariante. On se complétait très bien.
Aurélie aimait beaucoup la jeunesse. Elle aimait parler de son travail et d’art. Elle a voué sa vie entière à l’art. C’était un être exceptionnel.
Aurélie est rentrée en art comme on rentre en religion.
Poème d’Aurélie Nemours
Nemours Oscillatoire, Symmetria. Paris, 1994.
la couleur enthousiasme
temps de jeunesse
une sorte de fureur
un dit avec sa charge de chair phase tatonnante
elle apparaît couleur comme un avatar de sa vérité
dans le paroxysme du prendre-donner avoir-être
le noir absorbe tout le blanc donne tout
l’œuvre cherche la couleur en soi
permanence de la gamme chromatique
exilée de l’accord
si la couleur glisse dans le ton c’est le passage
rupture et passage crée l’irridiation trinitaire
le cercle de l’île le point auroral
à l’ombre du corps
la matière irradie
la couleur est offrande
Nous remercions la galerie Oniris pour son soutien.
Ouverte depuis septembre 1986, la galerie Oniris, dirigée par Yvonne Paumelle, est devenue, avec le temps, un des lieux incontournables de l’art contemporain en Bretagne.
Elle apporte son soutien aux artistes tels que Aurélie Nemours, Claude Viallat, Alain Clément, Vera Molnar, François Morellet, Ode Bertrand et d’autres artistes …
Elle participe régulièrement aux grandes manifestations telles que Art Cologne, Art Bruxelles, Art Paris ou la FIAC depuis 10 ans.
Galerie ONIRIS
38 rue d’Antrain
BP 60205
35702 RENNES CEDEX 7
TEL : 02 99 36 46 06
Actualité de la galerie
Du 18 avril > 29 avril 2007
Les artistes de la galerie (Morellet, Nemours, Asse, Viallat, Molnar, Clément, Bertrand et